Laurent s’arrêta au son de mes pas, et avant même que je n’ouvre la bouche. Je craignis un instant qu’il exprime le souhait d’être seul, auquel cas je prévoyais déjà d’errer seule dans la forêt, mais son sourire à ma question me rassura. « Si je comprends bien, il n'y a que moi que j'ai convaincu avec cette envie de chasser? » Je ne lui offris pour toute réponse qu’une légère grimace, trop polie pour lui dire avec des mots qu’en effet personne n’avait cru à la technique de la chasse. J’espérais d’ailleurs que personne ne viendrait nous chercher par la peau des fesses pour nous ramener à la villa où nous n’étions l’un comme l’autre pas du tout à notre aise. Notre famille était généralement suffisamment sage pour ne jamais forcer quiconque à rester dans un endroit où il ne se sentait pas bien. Les paroles de Laurent firent écho à mes pensées, prouvant de nouveau ce point commun que nous avions. Je me rapprochai de lui, arrivant à sa hauteur, et il se remit en marche. Je laissai mes yeux se promener sur la forêt obscure et dont je pouvais pourtant déceler chaque détail. Je me surpris pour la énième fois à regretter le domaine de verdure de Forks, et mon cœur se serra, sensation bien trop habituelle depuis que nous étions ici. La question de Laurent m’arracha à ma bien triste rêverie avec la force de la surprise. Je tournai les yeux vers lui avant de laisser un petit sourire se dessiner sur mes lèvres.  « Il y a beaucoup de choses que nos cousins ne t’ont pas encore racontées à ce que je vois… L’un de ces loups… est mon meilleur ami. A l’époque je n’en savais rien, et j’ai bien cru que ma dernière heure avait sonné sur le coup. J’ai aussi cru que tu n’en avais fait qu’une bouchée. Jusqu’à ce que je découvre leur vraie nature et que Jacob me raconte qu’ils t’avaient eu – désolée… » Comment aborde-t-on le sujet de la mort avec quelqu’un qui l’avait vue de très près pendant des années ? Je continuai cependant après m’être machinalement mordu la lèvre. « Ils protègent les humains des vampires. Donc meilleur ami ou pas, ils ne m’auraient rien fait. Mais ils se sont alliés à nous, et pour te la faire courte, mon meilleur ami est maintenant à deux doigts de devenir mon gendre. » terminai-je dans un soupir en scrutant de nouveau l’épaisse végétation qui nous entourait. Raconté comme ça, ça avait l’air bien plus sympathique que ce qui s’était réellement passé. J’eus un frisson en repensant aux épisodes d’horreur qui avaient bien failli nous faire passer de l’autre côté, nous aussi. D’ailleurs, je me demandai comment c’était. Mais cette question serait pour plus tard. « Jacob était d’ailleurs censé venir ce soir, avec Renesmée. » J’aurais payé cher pour assister à cette rencontre.

« Renesmée... ta fille, c'est ça? L'hybride? » Je hoche la tête en guise de réponse, sans rien ajouter, mes prunelles fixées sur Laurent, guettant ses réactions. Le monde vampirique s’était clairement divisé en trois catégories à l’annonce de la nature de Renesmée : ceux qui ne l’avaient considérée comme ni plus ni moins qu’une pestiférée ; ceux qui acceptaient simplement cette nature ; et ceux qui avaient été émerveillés par cette hybride comme on n’en voyait que rarement, un peu comme cette tête brûlée de Garrett. Garrett que mentionne Laurent, pas de la manière des plus agréables, ce qui me fait sourire. J’ai bien compris que vivre avec le pitre de la famille n’est pas de tout repos, et le fait que je ne le voie pas chaque jour participe sûrement à ma tendance à apprécier grandement sa présence. Et puis nous avions assez d’un être têtu comme une mule avec Alice. « En effet, je pense que tu te serais retrouvé dehors avant d’avoir bougé d’un pouce. Mais j'aime à croire que ça se serait mieux passé que Tanya ne l'imaginait. » Edward ou Alice l’auraient vu venir. Mais au-delà de ça, j’ai envie de lui faire confiance. Même si j’aurais été en première ligne pour défendre ma fille.

Je hausse les épaules à sa dernière réflexion, faussement désinvolte, dissimulant un sourire. Je le prends plutôt comme un compliment. Abattre des barrières imaginaires et superflues entre les vampires et les loups a été la meilleure décision que nous ayons prise. Et le visage des italiens à la découverte de notre alliance valait tous les trophées du monde. Mais au sein de notre communauté également, la nouvelle avait fait des vagues. « Tout le monde n’a pas vu ça d’un bon œil ici, au départ. Les loups étaient nos ennemis par nature, mais il a bien fallu se rendre compte que nous avions le même but. Encore plus quand il a fallu protéger Renesmée des Volturi. » Je me tais, ne voulant pas remettre l’erreur d’Irina sur le tapis. Sa perte de mémoire à son retour parmi les vivants nous inquiète beaucoup trop pour y repenser. Mon cœur se serre ; nous avons entendu parler des pertes de mémoire de certains d’entre nous lorsque nous nous sommes réveillés ici. Notre famille a été épargnée, mais Irina n’y a pas échappé, empêchant les retrouvailles avec les siens de se dérouler comme elles auraient dû. Je n’ose pas imaginer l’état dans lequel notre clan se serait retrouvé si ce drame nous avait touché. Je ne peux qu’imaginer combien les Denali doivent être désemparés. Je ne résiste pas à l’envie de lui demander ce qu’il en est. « Comment vous tenez le coup, avec Irina ? » je demande d’une voix douce et basse, presque chuchotée.

J’offre un sourire compatissant à Laurent lorsqu’il sous-entend la difficulté qu’il éprouve parfois avec notre régime alimentaire. Avec la situation dans laquelle j’ai vécu ma transformation, je suis consciente d’avoir eu la chance d’avoir été épargnée par l’envie irrépressible du sang humain contre laquelle on m’avait tant mise en garde. Hormis lors de cette première partie de chasse avec Edward, mais c’était avant que je ne recontre ma fille. Avec Renesmée, son coeur qui battait et le sang qui coulait dans ses veines, j’avais été vaccinée contre le plus gros défaut de notre nature, au point de croire que c’était mon don. Je reprends un air un peu plus sérieux cependant, me tournant légèrement vers lui sans cesser de marcher. « Je sais que tu es bien entouré, mais… N’empêche, si tu as besoin de quoi que ce soit. N’hésite pas. » Que ce soit pour la chasse ou pour quoi que ce soit d’autre, s’entend. J’espère qu’il le comprend. Mon sourire revient, plus discret cependant après que je me sois mordue la lèvre pour le retenir, lorsque mon compagnon de route parle des loups. Il est évident que maintenant que Laurent fait partie de la famille ils ne toucheront pas à un seul de ses cheveux, mais j’apprécie la finesse de sa réaction autant que j’aimerais le rassurer sur ce point. Je ne dis rien cependant. Nous aurons tout le loisir de remettre cette question sur le tapis plus tard, au moment de la prochaine confrontation entre Laurent et la meute, si elle doit arriver. Mon envie d’un monde constitué de tous les gens que j’apprécie s’entendant à merveille me joue encore des tours parfois, mais je ne peux m’empêcher de penser que nous sommes sur la bonne voix. Peut-être que notre atterrissage dans cette ville folle a eu pour impact de nous unir davantage… Après le déchirement que la surprise a déclenché dans notre famille, du moins. Je me contente de changer de sujet, revenant à sa situation à lui et plus précisément à Irina. Le silence qui suit ma question me fait regretter amèrement ma curiosité pourtant bienveillante. Peut-être est-ce trop tôt pour que nous ayons ce genre de conversation. Je n’insiste pas, bien sûr, et garde le silence, prête à changer de sujet s’il le faut. Mais Laurent finit par répondre. Mentalement, je fais la liste des éléments qu’il me donne, espérant que nous pourrions en faire quelque chose, trouver une piste pour nous aider à rendre à la mémoire à ma cousine. Le fait que Kate semble tenir Laurent pour responsable me choque cela dit. Je ne nie pas le caractère de la belle blonde aussi explosif que son pouvoir – bien que je n’aie eu personnellement le droit à la démonstration ni de l’un ni de l’autre – mais je ne peux pas m’empêcher de froncer les sourcils. « Pourquoi en serais-tu responsable ? C’est ridicule. » Qui souhaiterait ça à son aimée ? « Je suis désolée. » je souffle ensuite, le cœur réellement brisé à l’idée d’imaginer ce qu’il doit endurer. « J’ignore ce qui a conduit à retirer la mémoire de certains d’entre nous. J’espère qu’on trouvera. Vous ne méritez pas ça. » Pas après ce qu’ils ont vécu, à errer dans les couloirs de la mort – si tant est qu’ils ont eu conscience d’avoir été morts – pour finir par se réveiller dans cette ville de plus en plus étouffante.