Approche, oui, approche et viens écouter cette histoire que j'ai à te conter. Viens écouter l'histoire de mon fils...

L'ourson grognait doucement tout en marchant vers il ne savait où. Son regard d'un bleu intense se posait là où sa tête balançait. il n'avait pas vraiment de but si ce n'était trouver de quoi manger, tout comme hier et tout comme demain. Il vivait au jour le jour, ne sachant plus s'exprimer autrement que par des grognements effrayants. Il était prisonnier de son propre corps, incapable de se défaire de l'esprit de l'ours qui l'habitait. La peur le rongeait, cette peur intestine de croiser de nouveaux ces yeux carmins. La bête secoua la tête, poussant un énième grognement, plus triste cette fois. il avait presque oublié ce qu'être humain signifiait. Il ne possédait plus que des bribes de sa très courte existence en tant qu'humain, en tant qu'enfant. Et c'étaient toujours les mêmes images qui revenaient sans cesse, affreuses. Ce regard carmin, la main de sa mère qui se tend vers lui et sa voix étouffée lui intimant de fuir.
L'ourson cogna un arbre de sa tête massive, cherchant à se défaire de ces images douloureuses. Puis sont regard croise celui d'un papillon aux belles couleurs. Les images s'envolent au gré des battements d'ailes de l'insecte. Captivé par cet être minuscule, l'ourson à l'âme d'enfant commence à le courser en poussant des grognements plus joyeux, presque amusés.

Il était seul, seul dans cette grande forêt de pins où le soleil filtrait à peine. Ses pas foulaient un sol humide où les épines des conifères craquaient sous son poids. Pourtant, cette solitude était devenue sa nouvelle famille. Cette forêt et toutes celles qu'il traversait étaient sa maison. Parfois il croisait la route d'un autre être vivant qui devenait son ami l'espace d'un instant avant de s’éclipser sans un bruit entre les arbres. L'ourson était curieux et il ne savait pas chasser. Aussi, lorsqu'il croisait la route d'un cervidé, il s'asseyait et regardait le mammifère effrayé avec curiosité. Et lorsque l'animal s'enfuyait enfin, l'ourson reprenait sa route, allant toujours plus au sud sans jamais se retourner. Il marchait en suivant son instinct sans se poser de questions. Il se nourrissait de baies et parfois d'un poisson ou deux qu'il arrivait à attraper au détour d'un jeu dans une rivière.
Mais seul, il demeurait seul, coincé dans ce corps robuste.

Alan, car tel était son prénom, avait perdu le papillon de vue. L'enfant-ours se remit donc à marcher d'un pas lent, laissant son regard vagabonder sur le paysage. Il fini par déboucher sur la rive d'un petit lac. Il s'approcha de l'eau, y contempla son reflet sans réellement le voir puis se délecta de l'eau avant de finalement se ruer au contact de l'élément liquide et froid. Il était à nouveau prit de cette envie de jouer. L'ourson barbotait dans l'eau en poussant des grognements amusés, joyeux. Il ne se doutait pas que la chasse aux ours était toujours autorisée dans ce grand pays. Innocent, candide, l'enfant ne faisait attention à rien et il n'avait pas vu, ni senti, le chasseur qui l'épiait avec un certain intérêt. Un oeil attentif verrait qu'il n'était pas un ours normal, ses gestes étaient bien trop précis, sans cette maladresse caractéristique aux ours, pour qu'il soit réellement ce qu'il semblait être.

L'ourson avait attrapé un poisson qu'il s'empressa de ramener sur la berge. Il s'ébroua, toujours aussi distrait et ne se rendant pas compte de ce qui se passait autour de lui. Cependant, ses oreilles finirent par capter différents bruits, il releva son énorme tête, fixant l'origine de ce bruit effrayant qu'il avait entendu plusieurs fois. Ce bruit s'accompagna d'une odeur de poudre brûlée. Plus alerte, le jeune Alan lâcha son poisson à peine entamé qui vint s'échouer sur la berge. Plusieurs effluves vinrent titiller son odorat délicat. Ses oreilles tentaient de capter l'origine du bruit. L'enfant était plus dominé par la curiosité que la réelle peur mais son instinct lui criait qu'il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond.

Se mêlant au parfum des conifère, il reconnu l'odeur des humains qui s'affairait à éviter du mieux qu'il pouvait. S'en suivit une odeur si nauséabonde qu'il tenta de la faire disparaitre en se frottant le museau. Il avait beau secouer la tête, passer ses pattes imposantes sur son museau, rien n'y faisait, l'odeur était toujours là, à tel point qu'il ne remarqua pas la dernière effluve, plus ordinaire quoi que présentant des pointes indescriptibles. Il gémit, réellement dérangé par cette odeur qui ne voulait pas partir. Ses oreilles captent un nouveau bruit, un grognement, il voit ensuite émerger un énorme loup des fourrés, plus gros que lui. Intimidé, l'ourson recule en tentant lui même de grogner pour faire peur à l'énorme bête. Mais cela ressemblait plus à un couinement apeuré.

Le silence demeurait dans son esprit. Il avait été coupé de son clan beaucoup trop tôt et il n'arrivait plus à faire marcher ce lien si particulier qui leur permettait de parler avec d'autres. Il n'entendait rien qui pouvait se rapprocher à une pensée. Toujours en reculant, il entra doucement dans l'eau. Là il s'arrêta, conscient qu'il ne savait pas nager ou pas correctement. L'ourson étai débrouillard mais il n'avait jamais apprit d'un adulte à être un véritable ours. Il avançait à l'aveugle dans cette grande forêt qu'était la survie. Tout dans ses gestes indiquaient qu'il désirait que ces étrangers s'en aillent, qu'on le laisse tranquille. La panique avait finalement prit le pas sur la curiosité et il ne réfléchissait qu'à une seule chose, dictée par son instinct, fuir. Il poussa un autre grognement, tout aussi peu convainquant que le premier et, dans un geste sûrement désespéré, frappa l'eau de sa patte.

La peur se lisait dans son regard. L'ourson continuait à frapper l'eau de sa patte tout en grognant. Il cherchait à faire peur à l'énorme loup. Mais il y avait également cette odeur qui le dérangeait. Cette odeur qui lui grattait le nez, cette odeur qui l'agressait. Le petit ours était perdu, apeuré. Tous ses sens s'affolaient et il ne savait plus où donner de la tête. Aussi, continuait-il à frapper l'eau de sa patte et à grogner. Ses grognements se firent de moins en moins forts lorsqu'il vit le loup s'allonger et baisser la tête. Bien que son instinct continuait à lui hurler de fuir le plus rapidement possible, la curiosité prit le dessus et il s'approcha doucement, tâtant le terrain comme il le pouvait. Il faisait un pas, s'arrêtait et regardait si le loup bougeait, puis il recommençait, prudent.

Il fini par sortir de l'eau mais ne s'ébroua pas. Toute son attention était fixée sur le loup. Si bien qu'il en oublia cette odeur désagréable qui lui agressait les narines. L'orphelin continuait de s'approcher, laissant ses pattes imposantes fouler les galets. Puis il s'arrêta et posa son regard bleu sur le loup. Il pencha légèrement la tête sur le côté et laissa échapper un bruit qui pouvait être interprété comme une question. Qui es-tu ? demandait le son qui sortait d'entre ses lèvres.
Il finit par s'asseoir tout en continuant à fixer l'imposante créature face à lui. L'odeur immonde ne venait pas d'elle, au contraire. Le loup sentait bon, tout comme les bois qu'il traversait ce matin. Le même son sorti de nouveau de sa bouche tandis qu'il levait une patte, comme pour montrer le loup. Il était évidement que l'ourson n'était pas une ourson normal. Qu'en était-il du loup ?