Après mon pétage de plomb incompréhensible et une bonne discussion avec mon fils ainé, je le laisse me raccompagner en voiture sur ce trajet que je connais si bien entre l’hôpital et la maison, mais sur lequel je ne me sentais toutefois pas de conduire moi-même. Il me laisse finalement devant la villa avant de repartir, probablement vers chez lui. Pour ma part, je vérifie rapidement que la villa est vide avant d'y entrer, pas vraiment désireux de me faire sauter dessus par qui que ce soit qui a encore un truc à gérer pour lequel il se sent obligé de passer par moi. Traversant le salon, je vais m'enfermer dans mon bureau, avant de poser les mains sur le bureau sur lequel je me penche, fermant les yeux pour reprendre mes esprits. Parlant d'yeux, je finis par tourner le regard vers la fenêtre vers laquelle je me dirige pour observer mon reflet dans le carreau. La dernière fois que mes yeux ont arboré cette couleur, c'est après la transformation d'Emmett. Et ce n'était certainement pas accompagné du sentiment de culpabilité qui me tient présentement.

Ce que j'espère à présent? Que ce ne soit pas Jasper qui arrive en premier. Pas pour la question d'avoir échoué là où il tente de réussir depuis des années. Plutôt parce que je ne tiens pas à ce qu'il use de son pouvoir sur moi. Mon sentiment actuel, je tiens à le surmonter par moi-même, même si je sais que mon fils ne penserait pas à mal, bien au contraire. Heureusement, c'est le pas d'Esmée que je reconnais, et je vais déverrouiller la porte de la pièce avant de retourner à la fenêtre, assez concentré sur la fenêtre en elle-même et sur le reflet que j'y vois pour ne pas même remarquer le mouvement que provoqe un écureuil courant dans les branches d'un arbre pourtant pile poil dans mon champ de vision.

Je peux entendre le pas léger de mon épouse sur le parquet de la pièce, sentir son approche exercer sur moi un imbroglio de sentiments opposés se bousculant dans ma tête. J'ai besoin d'elle, de la sentir près de moi, de me perdre dans son odeur, la sensation de sa peau contre la mienne, et enfin, sentir son soutien indéfectible. D'un autre coté, j'ai bien trop honte de moi-même pour me retourner vers elle et croiser son regard. Et enfin, elle n'a véritablement pas besoin de ça en plus du reste. Je dirai même qu'il n'est pas juste de ma part d'être resté là à l'attendre, sachant que je n'aurai d'autre choix que de lui avouer un nouveau truc dont elle se serait bien passé. Et en même temps, je n'aurai pu vivre en dissimulant telle chose à Esmée. Je ne l'aurai pas supporté. Loin du fait que Edward ne m'aurait de toute façon pas laissé vivre en paix avec un tel secret entre sa mère et moi.

Je sens son bras passer autour de moi et je me concentre sur cette force qu'elle dégage pour quitter des yeux le reflet face à moi. Ou du moins, tourner la tête d'à peine un quart dans sa direction, en profitant tout de même pour glisser une main sur son épaule.

"Je pense que tout était plus simple la semaine passée. Je voudrais m'excuser, aussi. Je ne suis pas vraiment le soutien dont tu aurais besoin, d'autant plus que c'est vers toi qu'ils se sont tous tournés."

De ma main libre, je me pince l'arête du nez, cherchant mes mots pour lui parler, et surtout, arrêter de tourner autour du pot comme j'ai plus qu'envie de le faire.

"J'aimerai avoir ta force. Je pensais pouvoir gérer tout ça, mais je me rend bien compte que j'en suis incapable. J'ai perdu pied, Esmée. J'ai..."

Je ferme les yeux un instant avant de finalement m'échapper de son étreinte pour me retourner vers elle, refusant de lui dissimuler une seconde de plus l'étincelle rouge sang qui brille dans mes yeux. Et j'avouerai guetter sa réaction avec inquiétude. Non pas que je ne lui fasse pas confiance pour me pardonner comme elle a toujours pardonné à chacun des enfants étant passé par là. C'est en moi que je n'ai plus confiance.

Ma tentative de sourire s'étiole, bien que je n'ai pas douté un instant du soutien d'Esmée, en quelque situation que ce soit. Quand à sa méprise sur la raison de la couleur inhabituelle de mes yeux? Une partie de moi a envie de la laisser dans cette croyance, cette possibilité que j'ai simplement échoué là où j'ai réussi à les "sauver", Rose, Emmett, Edward et elle. La plus grande partie de moi se dit cependant que je n'ai pas le droit de lui mentir, de lui cacher une vérité avec laquelle je ne pourrait pas vivre, et la regarder en face chaque jour en sachant que je lui dissimule un truc pareil.

"J'ai pas... essayé de le transformer. Je sais pas ce qui s'est passé. Une seconde j'étais en train d'opérer, tout à fait normalement, la seconde suivante, j'avais envie de dévorer tout le monde autour de moi."

Mon regard se porte sur ses mains enserrant les miennes. J'ignore si je mérite vraiment la foi qu'elle place en moi. Non pas que je sois du genre à m'auto apitoyer, mais ici et maintenant, je n'ai moi-même plus foi en moi. Enfin, je puise en elle la force dont j'ai besoin pour finir de m'expliquer.

"J'ai voulu m'isoler... mais c'est toujours quand on veut être seul qu'on n'y arrive pas. Il était mort avant que je ne réalise ce que je faisais. C'est... comme si ce n'était pas moi qui dirigeait mon propre corps."

Je lâche ses mains pour aller m'asseoir sur le coin de mon bureau, regardant Esmée avec une sensation étrange. Une honte toujours présente en moi, autant pour l'acte que j'ai commis que pour lui infliger un poids supplémentaire à supporter. Et en même temps, l'assurance qu'elle sera là pour moi, quoique je fasse. Une confiance sans bornes et un amour sans failles. Dans lesquels j'ai envie - non, besoin - de me perdre.

Apparemment incapable de tenir en place, je me redresse donc de mon bureau pour revenir vers Esmée, l'embrasser avec tout l'amour que je sais lui donner, notre nature ayant l'avantage de nous permettre de ne pas nécessiter de respirer, avant que je n'aille me perdre dans son cou, me laissant enivrer par son odeur. Ses mèches brunes, une cachette idéale dans laquelle calmer mes angoisses.

Le temps parait s'arrêter alors que je suis là, réfugié dans les cheveux d'Esmée. Bien que je me tende lorsqu'elle parle des enfants. Je les aime, plus que tout, et c'est bien là la seule chose qui m'empêche d'en prendre un pour frapper l'autre. Je ne les rendrais pas coupables de mon excès de faiblesse, mais je ne nierais pas non plus qu'ils y soient pour quelque chose, si quelqu'un décide d'en faire la supposition. Ils m'en font voir de bien trop de couleurs, ces temps ci, et j'ai même redécouvert les plaisirs de la migraine, que je pensais réservés au genre humain.
Alors je me contente de lui offrir un léger grognement, tout à fait digne d'un enfant boudeur, perdant encore une ou deux minutes contre elle, sa main dans mes cheveux seule réussissant à me tirer un sourire. Je ne saurais jamais résister à cette femme. Je me répète? Et alors?

Je me laisse cependant faire lorsqu'elle s'écarte de moi, glissant une main sur son cou alors qu'elle m'embrasse, sans doute moins désespéré maintenant que j'ai pu constater une fois encore sa force de caractère et son soutien. Bien que je n'en ai jamais douté. Tout ce que j'espère, c'est de ne pas parvenir à la conduire à céder, elle aussi. Je me dois d'être fort, pour elle, et quand elle me dit que cette discussion peut attendre, je l'en remercie d'un sourire. Il y a des choses plus importantes que cela à traiter à l'heure actuelle.

"Toi et moi. J'ignore comment j'ai pu vivre deux siècles sans toi." J'entremêle ses doigts aux miens avant de les porter à mes lèvres. "Je te parlerai. C'est une promesse que je te fais. Mais je veux d'abord mettre les choses au clair entre les enfants. Les voir se déchirer de la sorte, ça me tue. ... Et ça te blesse. C'est quelque chose que je ne permet pas."