Montant dans ma voiture après une énième garde à l'hôpital, je consulte mes messages et répond brièvement à celui d'Esmée avant de démarrer direction la maison. Si l'on parle de repos? Sortir du travail ne veut pas dire oublier le travail, surtout en ce moment. Parce qu'une autre façon de sauver mes patients des attaques répétées des dernières semaines est de trouver un substitut à leur sang, et de fait, éviter qu'ils ne soient attaqués de nouveau. Je sais de source sure que certaines universités ont déjà planché sur le sujet, avec des résultats encourageants. La difficulté ici est autant la quantité ( tenez compte du nombre de vampires en ville actuellement! ) que la qualité gustative, même si le terme est très mal choisi. Il sera difficile de faire accepter le changement à certains des nôtres, et ce sera bien pire encore si ce "sang" que nous tentons de créer, Dmitri et moi, n'a pas un minimum le gout du sang originel.

Arrivé à la villa, je gare la voiture dans le garage - vide, comme trop souvent en ce moment -, et monte à l'étage, déposant une pile de documents dans mon bureau avant de revenir à l'entrée pour y laisser ma veste et mes clefs de voiture. Une ombre m'arrête sur le chemin retour, et j'observe un instant mon visiteur, apparemment plongé dans l'examen minutieux du dernier tableau ramené par Esmée, avant de me rapprocher de lui.

Il y a un moment que ça me trotte dans la tête. Une sorte de phase de nostalgie plus présente aujourd'hui que la courte distance entre nous me fait passer plus de temps chez les Cullen que chez moi. Bref, à un moment donné, quand j'ai un truc dans la tête, faut que ça sorte. Raison pour laquelle, après avoir emprunté sans lui demander la voiture de Kate, profitant du fait que Eleazar ai détourné son attention sans le vouloir, je me suis une fois de plus rendu à la villa Cullen, m'y invitant une fois encore. La voiture? Garée derrière la maison. Je m'invite pas au point de prendre une place dans le garage, et je pense que Kate m'en voudra si je lui annonce que Emmett a bouffé son aile avec sa moto.
En attendant que quelqu'un rentre, je traine dans les différentes pièces, jusqu'à m'arrêter devant une toile que je n'avais encore jamais vue. De trop bon goût pour ne pas reconnaitre les choix d'intérieur d'Esmée, à moins que ça ne soit le dernier achat de Alice... En attendant, pour le peu que je m'y connais, ça se laisse regarder. Et j'ai que ça à faire. Donc je prend mon temps pour observer les moindres détails de l’œuvre, ma vue aiguisée captant le moindre coup de pinceau aussi nettement que j'entends bientôt le moteur d'une voiture s'arrêter dans le garage.
Aux va et vient se faisant bientôt entendre dans la maison, je prend une inspiration, captant l'odeur du vampire que j'attendais.

"Je ne t'ai jamais remercié."

Je détache mon attention du tableau pour me retourner vers mon vieil ami, désormais cousin. Nous nous sommes croisés assez souvent pour que je lui en doive plus d'une, mais ce à quoi je pense est à l'origine de notre amitié.

Garrett se retourne dans ma direction, évoquant des remerciements jamais exprimés. Je fronce légèrement les sourcils, perplexe, cherchant à quoi l'ancien nomade peut bien vouloir faire allusion. A mes yeux, il y a bien longtemps qu'il ne me doit plus rien. Je pense même que c'est moi qui lui en doit une. Son expression m'éclaire assez rapidement, cependant, et honnêtement, j'espère qu'il n'a pas ruminé ça depuis un siècle et demi et plus encore.

"J'en aurai fait de même pour n'importe qui. Ce qui est à remercier, c'est l'affection que tu lui portais. Tu étais si jeune à l'époque. Nombre d'entre nous n'auraient pas résisté à une telle effusion de sang."

Je m'approche de la baie vitrée, croisant les bras tout en observant la vue sur la forêt alentours que nous avons depuis la villa. Sensiblement la même qu'à Forks, d'ailleurs, mais même si nous avons suffisamment déménagé au cours des années pour nous installer chez nous partout, ce n'est guère Forks. Je tourne le regard jusqu'à croiser le reflet des yeux dorés de mon ami de longue date. Lui si amateur de paris insensés aurait du miser gros sur le fait que son regard arborerait un jour cette couleur.

"Quand bien même j'aurai considéré à l'époque que tu m'en devais une, ta dette est remboursée depuis longtemps, mon ami. C'est moi qui t'en dois une, pour être venu nous soutenir, pour Nessie."

Si prévisible, je sens la protestation naitre en lui avant même qu'elle n'apparaisse dans son regard. La parole est à toi.

Carlisle me sort que plus que ses talents de médecin, c'est le fait que je n'ai pas saigné ma sœur à blanc ce jour-là qui a été à remercier. C'est sur que ça a aidé. En vérité, j'ignore même comment j'ai pu résister. Sans doute aidé par le fait que le champ de bataille entier n'était qu'une mare de sang géante. Que, donc, l'odeur du sien ne devait pas ressortir plus que ça à mon odorat. Et pourtant, rien que d'y penser, je l'ai dans le nez. On oublie pas mal de choses de sa vie d'homme au fil des siècles, mais si les images s'effacent, les sons et les odeurs restent.

"Je répondrai simplement que j'étais bien content de devoir me débarrasser de ces soldats. J'avais besoin de planter mes crocs dans une veine, après ça. Je n'ai jamais compris comment tu pouvais résister comme tu le fait. Pas une seule fois?"

M'étant rapproché de la baie vitrée entre temps, laissant mon regard passer à travers le verre pour observer les arbres alentours, j'en détourne le regard une seconde pour voir Carlisle m'y rejoindre. Là où les Denalis se planquent au milieu de la neige et de la glace, les Cullen semblent avoir une affection toute particulière pour la forêt. Techniquement, ça protège mieux du soleil, c'est certain. Je pense que nous misons sur l'éloignement de toute civilisation pour ne pas craindre de prendre un rayon de soleil entre la maison et la voiture. Qui nous verrait là où nous sommes?

"Et j'y ai rencontré Kate. Si tu ne m'avais pas appelé à Forks, j'aurai pu continuer à sillonner le pays durant trois siècles de plus avant de la croiser... et encore, l'Alaska n'a jamais vraiment été sur mon plan de route."

Si, de même que les Roumains, je serais venu de moi même soutenir la cause de Carlisle? Si j'en avais eu vent oui. Mais quand on est nomade, on évite en général d'avoir vent de se qui se trame dans les clans, surtout quand ça tourne autour des Volturis.

"Et puis, tu m'as offert une leçon ce jour-là. Savoir que vampires et humains pouvaient cohabiter a changé ma façon de voir le champ de bataille. Il y avait bien assez à manger parmi les troupes anglaises pour résister au sang américain, il faut dire. Ne plus être l'ombre qui attaque pendant la nuit mais prendre part, réellement, à la bataille, ça a été quelque chose."

Ce qu'il me dit est compréhensible. Et j'aurai été bien mauvais de le lui reprocher alors qu'il avait fait tant d'efforts pour éviter de dévorer sa propre sœur, repoussant chacun de ses instincts dans le seul but de la protéger... autant des anglais que de lui-même. Et de moi, avant qu'il ne réalise que j'étais du bon coté.

"Pas une fois en deux siècles... ce jusque l'an passé. J'ignore ce qui s'est passé, si c'est tout ce que cette famille a pris sur le coin du nez l'an passé qui m'a submergé..."

Je ne développe pas davantage, sachant qu'au milieu de ses facéties et de sa curiosité maladive - égalant de près la mienne, je dois l'avouer -, il n'ira pas creuser là où il sent qu'il ne faut pas chercher à creuser. Une confiance en lui que je sais réciproque, et ce depuis de nombreuses années.

"Je sens qu'aucun de mes arguments ne fera mouche, n'est-ce pas? Alors soit, j'accepte tes remerciements, puisque tu ne m'en laisse pas le choix. A la condition que tu acceptes ce dernier argument sans chercher à lui faire concurrence."

Je relève le regard jusqu'à croiser le sien, observant sa réaction, et principalement la réflexion derrière son expression. Surement en train de chercher de quoi je veux parler. Quel argument je peux avoir dont je refuse qu'il réfute la réalité.

"Plus qu'un ami, tu es un membre de cette famille à présent. Et je sais que chacun d'entre nous peut compter sur toi pour veiller sur lui. Et crois-moi quand je te dis que ça compte pour moi. Et que c'est à double sens. Faire partie de cette famille, c'est accepter de compter sur les autres également."

Je glisse une main sur son épaule avant de me diriger vers la terrasse, l'invitant à me suivre. La maison est bien trop calme en ce moment. Profiter des bruits de la nature extérieure ne fait pas de mal.

Il est obligé? De se sentir coupable pour avoir, rien qu'une fois en deux siècles, laissé son instinct aller au point de se nourrir comme un vrai vampire? Ok, j'oubliais, on parle de Carlisle, donc oui, il est obligé. Non mais, je critique pas. J'ai même jamais critiqué ses choix alimentaires. Mais si j'avais à avoir un besoin vital de sang ici et maintenant et que la seule veine disponible soit humaine... ça ne me ferait ni chaud ni froid...
Je glisse une main sur son épaule, la pressant légèrement pour lui indiquer qu'il n'a pas besoin d'épiloguer davantage pour avoir mon soutien. Sur certains points, on ne s'est jamais compris. Mais sur d'autres, après deux siècles d'amitié, il n'y a plus besoin de mots.

"Tu sais Carlisle. Y a un truc qui s'appelle l'amitié. Et rien que pour ça, je remuerai ciel et terre pour ta famille. Mon addition aux Denalis... c'est du bonus. Faire partie d'une famille... ça fait bien des siècles que ça ne m'étais plus arrivé. C'est perturbant parfois, de savoir qu'on peut compter sur d'autres que soi au besoin...Mais tu me connais, j'ai un mauvais don pour refuser d'offrir mes propres emmerdes aux autres alors..."

Je suis mon vieil ami à l'extérieur, m'appuyant bientôt sur la rambarde de la terrasse pour regarder la vue en contrebas. On pourrai croire que les arbres bouchent la vue, mais en vérité, il suffit de profiter un peu de nos dons et de la vue perçante que possède chaque vampire pour percer un chemin au travers des arbres, jusqu'à apercevoir la vallée au delà. En vérité, je crois que je saurai me faire à cette ville, dès lors que nous ne serons plus forcés de nous rationner à chaque lapin saigné... ah, et si on pouvait éliminer une tunique rouge ou deux aussi... mais je sais suffisamment que Carlisle et les siens préfèrent la paix, même temporaire et instable, avec ceux là pour ne pas aller leur chercher des noises personnellement... par contre, qu'ils s'en mêlent et je risque fort d'être le premier à leur rentrer dedans...

"Dis, je réfléchis à un truc depuis un bout de temps... et je me dit que tu es le mieux placé pour en causer. Tu crois que Kate préfère quoi comme pierre?"

Si je suis incapable de ne pas tourner autour du pot? Carlisle est intelligent, il saura comprendre où je veux en venir tout seul. Et si je m'adresse à lui plus facilement qu'à Tanya ou Eleazar? J'ai des doutes sur leur capacité à dissimuler quelque chose à ma blonde préférée.