Une nouvelle après midi où, rentré du travail, j'ai eu droit à une discussion animée avec ma "chère et tendre" épouse qui a finit par une porte claquée devant moi. Très bien, elle reviendra quand elle en aura marre de faire le tour du quartier. En attendant, je compte bien en profiter pour passer un peu de temps avec la seule chose de bien que ce mariage m'ait apporté, j'ai nommé ma fille, Gwen.

Ma première idée était de l'emmener au parc pour faire du cerf-volant, sauf que le temps dehors n'est pas vraiment au beau fixe. Alors je me rabat sur la boite de crayons de couleur qui n'est pas sortie du placard depuis un moment. Ne reste plus qu'à aller chercher ma complice du jour, en espérant qu'elle ne préfère pas faire la sieste.

Je monte l'escalier, avant d'ouvrir légèrement la porte de la chambre de ma fille pour la trouver installée sur son lit. Bien sur qu'elle n'a rien raté de la dernière escarmouche entre sa mère et moi, je serai vraiment stupide de penser le contraire.
"Eh ma puce, ça va?"
Je pousse davantage la porte, m'infiltrant à l'intérieur de la pièce jusqu'à la rejoindre, venant la prendre dans mes bras, la serrant contre moi pour la rassurer.
"Tu veux faire un dessin avec moi? T'es vraiment meilleure que moi avec tes crayons."

Pas d'école aujourd'hui, j'avais donc mes devoirs à faire ( fait dans la matinée) et ma mère avait accepté que je regarde des dessins animés, une fois ceci fait. Ensuite nous avions mangé et mon père avait finit par rentrer, alors que je m'étais assoupi sur mon lit devant un livre. Ce sont leurs cris qui m'ont réveillés. Je m'approche de la porte, que j'ouvre aussi délicatement que possible. Je ne veux pas qu'ils m'entendent. Je les écoute, mais à part des cris, je ne sais pas de quoi ils parlent; je ne comprends pas.
Je finis par retourner sur mon lit, en reprenant le livre que j'avais laissé au bord du lit en m'endormant. J'essaie de lire mais sans succès. Je pose mes mains sur mes oreilles. Lorsque je n'entends plus de bruits enfin, je les enlève, sèche mes larmes et retourne à ma lecture, enfin plutôt dans mes pensées, le livre est toujours à la même page. C'est dur de se concentrer quand on est envahis par autant de sentiments qui font mal. Je les aime tous les deux. J'ai peur qu'un jour ils se séparent.

Je finis par entendre une porte qui claque et rapidement des pas dans le couloir. Quelqu'un frappe. J'ignore lequel des deux est partit, lequel est derrière cette porte. Tout du moins jusqu'à ce que la porte s'entre-ouvre et que passe les yeux de mon père. Je lui ferais bien un sourire, mais je n'y arrive pas, je ne sais pas faire semblant … c'est un truc de grand ça de faire semblant.
Pour toute réponse, je hausse simplement les épaules. Il ouvre la porte en grand, vient vers moi, s'assois sur le lit et me prend dans ses bras. Je me sens tout de suite un peu mieux. Il me demande ensuite si je veux dessiner avec lui, en me flattant sur mes talents de dessinatrice. J'accepte d'un signe de tête et d'un léger sourire. Je me lève et me dirige vers la porte de ma chambre, avant d'en sortir et de me diriger vers la cuisine. Je sais déjà où se trouve ce don nous avons besoin. Je prends crayons et feuilles de brouillons, avant d'aller m'installer sur la table de la cuisine. Ca va être chouette et d'ici quelques instants je devrais bien sortir quelques mots ...

Ça me tue, que Gwen se retrouve ainsi entre nous à chaque fois que ça clashe. Et pourtant, je fais mon possible pour éviter ces situations quand elle est à la maison. Je dis pas que je suis parfait, bien au contraire, les tords sont plus que partagés, mais quand la petite est à l'école, c'est moins dramatique qu'on finisse par se donner des baffes. Là par contre, je retire toute responsabilité. Je m'en prends, mais mon père m'a assez bien élevé pour m'avoir enseigné qu'on en frappe pas une femme, même sous le coup de la colère, même quand elle vous en envoie dans la tronche.

Bref, Gwen a un super pouvoir. Celui de me faire oublier les mauvaises choses pour ne plus voir qu'elle et elle seule. J'ignore si je suis le meilleur des pères avec elle, mais une chose est certaine, j'ai la meilleure des filles. Même si l'humeur n'est pas au beau fixe. Mais peut-on l'en blâmer?
Je la suis jusqu'à la cuisine, où elle s'est déjà installée avec ses feuilles et ses crayons, et je rapproche une chaise de la sienne pour m'installer près d'elle, caressant doucement ses cheveux alors que j'observe ce qu'elle dessine.

Au bout d'un moment, je rompt le silence en pointant son dessin, sachant que ce qui est dessus n'est pas du tout ce que je dis voir dessus. Juste de quoi entendre le son de sa voix.

"Donc... ça c'est un pingouin c'est ça? Et ça vole les pingouins?"

Mon père vient me voir pour me proposer de dessiner avec lui. J'accepte. J'aime bien faire ça et d'autant plus avec lui. Pourtant ça avait mal commencé vu que lui et maman se sont disputés et j'ai eu beau essayer de fermer mes oreilles ça a pas trop marcher.
Du coup je descends dans la cuisine, je sors tout ce qu'il nous faut et je m'installe. Papa arrive bien vite et ce met à côté de moi. Il me caresse les cheveux. J'adore quand il fait ça, ça m'apaise. On reste un moment comme ça. moi pendant ce temps là je dessine des bonhommes qui nous représentent tous les deux et on se balade en forêt et papa il me fait découvrir la nature. Y a des plantes mais aussi des animaux, c'est chouette, enfin en tout cas dans ma tête c'est chouette parce que papa il dit que c'est des pingouins.

- Bin non ein … ça c'est toi et à côté c'est moi. On est pas des pingouins ein… Et ce qui vole c'est un oiseau, y en a plein en forêt des oiseaux.

Que je dis comme si il était sérieux. Je crois qu'il est sérieux. Je le regarde vraiment dépité de sa bêtise.
Je pause ma main sur son bras et je secoue la tête.

- Mais c'est pas grave papa tu sais, tout le monde peut pas être doué en dessin, ça fait rien.

Le fou rire qui me prend, je ne peux pas y échapper. Il n'y a que ma fille pour réussir à me faire rire après la dernière prise de bec journalière avec sa mère tiens. Mais sérieusement, cet air qu'elle prend et cette façon mignonne de se moquer gentiment de moi... j'en peux plus je vous jures.

"Une chose est certaine mon cœur, t'es bien plus douée que moi avec un crayon dans les mains."

Pour être honnête, je me débrouille un peu. Mais on perd vite la main et il y a longtemps que je n'ai pas pratiqué, alors je n'essayerai pas d'ajouter ma touche à son dessin, de peur de le ruiner.

"Ok, donc c'est toi et moi, et des oiseaux. Et si on rencontrait un petit lapin, ça te dirai?"

Je ne poserai pas la question de "et maman?". Déjà parce que j'ai pas envie de parler d'elle. Ensuite parce que je compte profiter du fait que Gwen ai pu se changer les idées, et donc, si elle ne veut pas de sa mère sur son dessin, soit.
Je finis quand même par attraper un de ses crayons, ajoutant un truc que je suis sur de ne pas rater. Une fleur. Soit un gros point jaune sur une tige verte, avec une feuille sur le coté. Rien d'extraordinaire.

"Tiens, comme ça je vais pouvoir t'offrir une fleur en passant. Un gros pissenlit. Et on fait quoi avec les fleurs de pissenlit quand elles sont changées en peluche?"

Il rit, je suis contente je l'ai fait sourire, même si je comprends pas vraiment pourquoi, c'est pas grave, je suis contente. Il reconnaît mon talent artistique et ça c'est chouette. Il me propose qu'on croise un lapin, alors je prend du marron et je fais plusieurs ronds des oreilles, des moustaches et le tour est joué, enfin selon moi et mon art incontesté.
Il prend ensuite un crayon et rajoute une fleur et m'explique qu'il pourra me la donner quand on passera devant. J'aime bien l'idée.

- On souffle dessus et y a tout qui s'envole!

Et je fais de grand geste pour mimer les peluches qui s'envolent.

- On pourra sortir en forêt après pour voir des lapins et des fleurs, ça serait trop cool!

Bin quoi c'est vrai non. En plus en forêt ça sent trop bon. On entend les oiseaux chanter et nous on chante aussi. C'est trop bien. On rigolerait bien.

Mais bon sans maman c'est quand même moins drôle. Je l'ai pas dessiné pour pas faire de peine à mon papa, mais si on va en forêt j'aimerais bien qu'elle soit là aussi, comme avant, comme quand j'étais petite, mais ça … Ils crient fort tous les deux et ça me fait mal au cœur et quand ça arrive je veux plus jamais que ça recommence, mais c'est pas moi qui décide… Mon regard s'assombrit sans que je n'y prenne garde.
Je lâche mon crayon et je me retourne vers mon papa et je me sers dans ses bras. J'aime bien son parfum, ça me réconforte.

- Pourquoi maman et toi vous criiez ? J'aime pas quand vous vous disputez! C'est à cause de moi ?

Que je dis en parlant plus à son t-shirt qu'à lui. Je suis même pas sûre qu'il est comprit ce que j'ai dit!

Je ris de l'enthousiasme apparent de ma fille, tout en échappant de peu à une claque maladroite et involontaire due à son mouvement rapide. Il en faut plus pour me faire mal. A dire vrai, rien qu'aujourd'hui a été pire que tout ce que ma fille pourrait me faire.

"Tas raison mon cœur. Tu sais quoi? Si on finissait ce joli dessin, et après on va faire un tour dans le petit bois, ça te dirait?"

Le changement qui se produit en elle au cours des minutes qui viennent, je le sens venir avant qu'elle ne retourne ses yeux mouillés face à moi. D'abord le crayon qui arrête de parcourir la feuille, puis la tension qui semble traverser chacun de ses muscles... Le crayon tombe soudain sur la table alors qu'elle se réfugie dans ma chemise, l'éternelle question qui fâche sur les lèvres. Je la sers contre moi, détestant la question qu'elle rajoute au bout de la première.

"Jamais. Ça sera jamais à cause de toi. Toi, t'es notre cadeau. Si t'étais pas là, je sais pas ce que je ferai sans toi."

Expliquer à ma fille que sa mère et moi avons depuis longtemps perdu la capacité de nous supporter dans la même pièce sans grincer des dents? Un peu compliqué, et puis, je ne tiens pas à lui imposer ce conflit plus que nous ne lui imposons déjà. Pas plus que je ne tiens à la liguer contre sa mère, ou à me montrer incorrect envers cette dernière devant elle...

"C'est comme ça. Y a des adultes qui s'aiment toute leur vie, comme dans les histoires. Mes parents étaient pires que Cendrillon et le prince Charmant tu sais, tu devrais demander à papy. Et y en a d'autres qui s'aiment un peu, puis comprennent qu'ils se sont trompé de personne. Mais t'es là toi. Je t'aime plus que tout, et je sais que ta mère t'aime elle aussi. C'est toi qui nous sauve."

Et pour toi, je prendrais tous les coups du monde s'il le fallait. Une réflexion que je garde pour moi. Mes derniers bleus ne concernent pas ma fille. Et heureusement, sa mère n'est pas assez grande pour me frapper au visage. Enfin, hormis pour les baffes bien senties, mais la trace disparait assez rapidement.

- Oh oui! Y a plus qu'à finir au niveau du ciel, parce qu'il fait beau quand on va se balader en forêt et ce sera bon.

Je m'applique un faire un gros nuage jaune avec un sourire, bin oui les planètes ça sourit c'est bien connu et pis il a des rayons de différents tailles et de différentes couleurs. Y a aussi un ou deux nuages blancs qui passent pour que les oiseaux ils puissent se poser dessus pour se reposer. Ouais c'est bien ça.

Mais soudain j'arrête ce que je fais et m'enfonce dans les bras de mon papa.
Je pensais pas avoir fais de bêtise, mais bon tout me passe par la tête en cet instant : le fait que j'ai freiné des deux pieds pour aller me coucher hier soir ou que je n'ai pas fini les légumes à mon dernier repas… en même temps le premier qui me dit que le chou c'est bon je le crois pas ein. Brrrr.
Je me mouche toujours dans son t-shirt lorsqu'il me répond que ce n'est pas de ma faute, que ça ne le sera jamais. J'ai du mal à croire que papy et mamie ils aient pu être comme Cendrillon, mais p'têt parce que je connais pas ma mamie et que papy, bin, il en parle pas.

- Vous allez faire comme le papa et la maman d'Audrey ?

Audrey c'est ma copine à l'école et ses parents ils sont divorcés, mais je connais pas ce mot là, moi.