Trois ans que nous jouons à ce jeu, Aminata et moi. Je chasse, aidé du fauve en lequel je me transforme, de sa force, de son agilité et de sa rapidité, pour attraper un gibier ou un autre. Une fois à terre, je me contente d'étrangler l'animal, lui laissant juste assez de souffle pour que son sang continue à circuler dans ses veines, jusqu'à ce que la vampire vienne finir le travail. Après elle, à mon tour de manger. Et même si Ami a appris à chasser par elle-même depuis, de toute manière, moi, il faut que je mange. Alors ce jeu se poursuit et se poursuivra sans doute encore longtemps. Et puis, allez savoir, d'ici trente ou quarante ans, quand je ne pourrais plus me trainer comme je le fait aujourd'hui, je serai bien content que nous puissions inverser les rôles. Surtout si un gnou entier parvient toujours aussi peu à me caler. C'est fou l'appétit que j'ai depuis quelques temps.

Bref, aujourd'hui, mon dévolu se porte sur un zèbre boiteux trainant à la queue du troupeau. Mais il n'est pas pour moi. Je peux aisément m'en prendre à un animal en pleine forme, alors celui-là, je compte plutôt le laisser à la troupe de lions sur les terres de qui je me suis aventuré ces derniers jours. Je les ai observés hier. Et si y a pas au moins huit jours que les petits n'ont rien avalé de solide, alors moi, je suis une antilope. Je démarre donc, arrivant rapidement à la hauteur de l'animal sur le cou duquel je saute, mes crocs déchirant proprement le cuir de sa gorge avant de le laisser là. L'odeur du sang attire les prédateurs. Et l'odeur de la mort attire les charognards, alors, n'attendez pas trop quand même.

Je repars à la suite du troupeau, tâchant cette fois de nous trouver une proie pour nous, lorsqu'un bruit de moteur se fait entendre derrière moi. Ces foutus touristes... Un coup de feu raisonne soudain, me montrant à quel point je me méprise. Braconniers.

"T'as vu un peu la taille du fauve?!"

Alors que je ralentis ma course, abandonnant les zèbres pour une meilleure cause que mon estomac, je négocie un demi-tour vers le camion quand un nouveau coup de feu éclate, suivi d'une douleur violente dans la cuisse. De quoi me convaincre que je ne fais pas le poids. Pas que je soit lâche, mais je sais survivre pour combattre dans d'autres batailles.

"Fais gaffe tu vas nous l'abimer! Tu sais combien ça vaut une peau comme cella-là?!"

C'est sur trois pattes que je reprend la course, tâchant d'utiliser l'herbe haute de la savane pour disparaitre, bien que le manque de souplesse de ma démarche résonne à mes oreilles à chaque pas. Je parvient à atteindre le bosquet  où j'ai planqué mes affaires avant de chasser, et me retransforme avant de m'habiller et réfléchir à la suite des évènements. Rejoindre Aminata avec un bon litre de sang coulé et continuant de s'écouler de ma plaie? Pas que j'ai pas confiance en elle, mais je pense que ça ne serait vraiment pas la meilleure option. Y a un espèce d'hôtel pas loin, le truc à touristes blancs et fortunés. Doivent bien savoir où choper un médecin.

"Regardez donc ce qu'on a là. C'est drôle ça, il a exactement le même trou dans la couenne que le fauve que j'ai tiré... embarquez moi-ça."

La suite? Quand la douleur arrêtera de me vriller les tympans, j'y réfléchirai...

Je suis dans ce magnifique parc depuis quelques jours maintenant, j'ai décidé de me balader un peu. Je me trouve non loin d'un troupeau de buffle, oui je me balade à pied, j'ai une petite chance de les approcher de plus près les bestioles, enfin c'était sans conter leur odorat et leur envie irrépressible de me fuir lorsque j'approche d'un peu trop près. Je reste donc a distance, mais avec ma vision, je les vois quand même très bien et c'est agréable, je dirais presque reposant et pour quelqu'un avec mon caractère dieu sait que ce n'est pas évident à faire.

Un coup de feu et une odeur de sang me vrille les narines sans crier gare. Le sang d'un animal.... à bas non d'un humain... c'est quoi ce bordel ? Je me dirige rapidement dans cette direction. je vais avoir de quoi me sustenter. Je me retiens depuis que je suis ici, pas envie de laisser trop de cadavres derrière moi, paraît qu'on a des rois tendus du slip à ce sujet alors bon ... Je tombe sur un groupe d'homme qui embarque un autre dans leur fourgon. Ils ont l'air louche et j'ai la dalle, alors je cherche pas plus loin. Je leur saute dessus. Je vide le premier de son sang sans faire attention aux cris de ses potes. Je les vide tous, oui y en avait un troisième rester en retrait dans la voiture, je le bouffe aussi et ça fait un bien fou.

Une fois rassasiée, les lèvres et la gorge pleine de sang, je me dirige vers le blessé. Putain il pourrait presque me redonner faim le con. Je ressens de nouveau cette odeur animal en m'approchant de lui. Ok c'est quoi ce délire ? Je connais les histoires sur les loups qui ont été exterminés, mais lui il est quoi ? J'étais prête à m'approcher mais du coup, je recule d'un pas. Il pue vraiment.

- T'es quoi, toi ?

Si je vois pas qu'il a mal ? Si, mais je vais pas l'aider si c'est pour qu'il me bouffe derrière. je tiens un peu trop à ma vie.

Je sens à peine qu'on me soulève et me traine, au bord de l'inconscience que je suis. La chute qui suit, en revanche, me ramène mes esprits, alors que j'aperçois furtivement une forme des plus rapides s'en prendre à mes agresseurs. Ami? Mon odorat m'apprend rapidement ma méprise. Un vampire, mais pas la mienne. Je me traine dans l'herbe pour m'en éloigner un peu, comptant sur ma vitesse de guérison naturelle pour m'échapper avant qu'elle ne me remarque, mais il semblerait qu'une balle dans la chair n'aide pas à la cicatrisation de la plaie.
La vampire s'approche de moi, ses yeux rouges du sang qu'elle vient de consommer, avant de reculer aussi sec. Certainement cette odeur dont se plaint Ami quand elle me cherche les puces. Ce que je suis? Quand je le saurai je te le dirai avec plaisir. En attendant, je sais juste que toi, t'as une paire de crocs dont j'aimerai assez que tu évite de te servir...

"Aucune idée. Toi t'es un vampire. Mon instinct me recommande de te tuer... Mais tu m'as aidé, je t'en remercie. Je vais me débrouiller c'est bon."

Refuser une aide qu'elle ne m'a de toute façon pas proposé? Je me méfie déjà d'Ami quand je suis blessé, alors d'une parfaite inconnue n'ayant de toute évidence pas la morale de ma sœur concernant son alimentation, oui, je m'en méfie encore plus.
Bref, la brillante idée serait de me retransformer, histoire de pouvoir rentrer sur trois pattes au lieu d'une seule... sauf que je ne vais vraiment jamais cicatriser si en plus de la balle, j'impose à mon corps une nouvelle transformation complète... c'est que ça ne se fait pas sans douleur tout ça... accessoirement, le cuir de panthère est un peu plus épais que celui d'un homme, si faut que cette saloperie ressorte j'aime autant l'endurer sous la forme la moins compliquée pour elle.

Après avoir bu jusqu'à la dernière goutte de sang de ces deux énergumènes, me voilà tout à fait rassasié. Mes iris sont redevenus rouge et c'est ainsi que je me tourne vers l'individu que je viens de sauver visiblement. Si j'en ai fait exprès ? Oui et non! Disons que j'aime me battre à arme égales ... enfin au moins pas à un enfant, un vieillard ou un homme blessé comme celui là l'est présentement. Je sens toujours autant cette odeur d'animal et je comprends qu'il s'agit de lui. L'homme face à moi n'est pas humain. Probablement l'un de ces modificateurs dont nous avons eu vent ces dernières années. Caïus les a prit pour des loups-garou fut un temps, mais même lui en est revenu je crois.
Comment ça il ne sait pas qui il est ? Ça va être simple encore je le sens. Mes yeux font un cercle dans leur orbite, le temps pour mon cerveau d'enregistrer ce fait particulier.
Il peut se débrouiller ? Étonnamment j'ai un doute vu sa blessure.

- Je t'aide, si tu promets de pas me bouffer!

Si je suis folle ? Oui assurément. Et franchement, je m'en moque pas mal. J'aime ma vie telle qu'elle est et si je paraît étrange aux yeux du monde et bien tant pis pour lui, moi ça me va bien. Et puis même si il venait à me courser une fois la balle retirer ... ça pourrait être fun. J'aime m'amuser, ma vie entière n'est qu'amusement.
Je m'approche doucement de lui, ma main s'approche de sa plaie. Ai-je préciser que j'allais être délicate ? Pas que je sache non, mais au moins c'est efficace, enfin il m'en dira des nouvelles.

- Allez, laisse moi faire! Si j'avais voulu te tuer, ce serait déjà fait!

Si moi je risque de la bouffer? C'te blague. Vu la forme que j'ai actuellement, j'ai beau être rapide à me transformer, elle m'aura surement bouffé la première. Je me contente cependant de me relever sur les coudes, levant les mains en signe de non agression. En espérant qu'elle ne compte pas davantage me faire la peau.

Elle s'approche de moi, plus rapidement et plus près que je ne l'avais présagé, avant de se débrouiller pour récupérer la balle dans ma plaie. De quoi me tirer un cri de douleur que je ne saurai retenir, n'en déplaise à mon amour-propre. Ma main chasse rapidement la sienne pour se poser sur ma blessure, mon regard ne lâchant pas la vampire une moindre seconde. Mon odeur a beau ne pas être appréciée des siens, je me méfie quand à l'odeur de mon sang. On ne sait jamais. Et je n'ai aucune confiance en cette parfaite inconnue aux yeux rouges, malgré le coup de main providentiel qui permet à ma plaie de cicatriser plus rapidement que si la balle était restée logée dans ma chair.

"Merci. Pour le coup de main. A moi de t'en filer un. Les nuages ne vont pas masquer le soleil bien longtemps. Je connais quelques planques dans la région. Si tu veux d'un guide."

Je me redresse, à présent capable de tenir sur ma jambe, quoique boitant sur les premiers pas. Ça disparaitra vite. Quand à lui trouver une planque? Clairement pas pour qu'elle s'installe dans le coin. Y a déjà une vampire dans les parages, pas besoin de deux. Surtout d'une aux yeux rouges. Non, plutôt éviter que les locaux tombent dessus quand elle brillera comme une pierre précieuse. Dans le genre discret, on repassera. ce que je me moque de sa sécurité? Je me soucie de celle d'Ami. Pas envie que les chasseurs ne se lancent à la poursuite de tout ce qui brille.

Il acquisse et je retire la balle de la plus barbare des manières, mais bon on veut éviter l'infection et l’aggravation de son cas, alors pas vraiment le temps de prendre des pincettes, c'est le cas de le dire. Un cri sourd sort de sa bouche. Il vient du plus profond de son être. J'ai peur qu'il ne défaille, mais non, il retire simplement ma main de son torse. La balle est encore dans ma main. L'odeur est encore plus forte en ayant plein les mains, mais cet odeur de chien, non vraiment très peu pour moi, je ne suis pas de ces végétariens dont j'ai tant entendu parler.
Je sors les crocs une demi-seconde, entre l'odeur et le sang, c'est le bordel dans ma tête. Il me propose un endroit où me protéger du soleil qui fait briller ma peau tel des diamants; je ne peux qu'accepter. Il se relève, je le suis sans aucune résistance. Si il me trompe et m'emmène dans un piège je le sentirais, qu'il fasse attention à lui, je ne suis pas née de la dernière pluie. Mais bon il m'est redevable, alors j'ai bon espoir.

- Je dis pas non! Je te suis!

Nous avançons sous la chaleur de l'Afrique. Je vous dirais bien qu'il me réchauffe le corps, l'esprit, le cœur, mais c'est faut. Le cœur peut-être un peu oui, mais être devant une cheminée alors que dehors il neige, ça marche tout pareil pour moi, donc bon... Que je marche ici où en Antarctique, ça revient au même pour moi.
Sa plaie s'est fermée, je me sens déjà mieux. Je peux réfléchir un peu plus sereinement désormais.

- Pourquoi tu fais ça pour moi ? Tu aurais pu simplement me remercier et reprendre ton chemin !

Après tout je n'avais pas besoin sur le champ d'être protégé du soleil, enfin surtout du regard des humains sur moi.

Les premiers pas sont difficiles, mais la douleur s'estompe rapidement, de même que la cicatrice qui aurait pu rester marquée dans ma chair. Plus depuis quelques années, à présent. Une vitesse de guérison hors du commun, c'était compris avec la panthère, il semblerait.Enfin, ça ne m'empêche pas d'être prudent, et m'éloigner de la vampire qui a l'air de chercher à reprendre ses esprits. Je la laisse à ses problèmes, pas envie de me faire chiquer pour la peine.
Elle finit par me suivre, et, si je tolère de l'avoir dans le dos, hors de ma vue, j'utilise chacun de mes autres sens pour prévenir le moindre geste offensif qu'elle aurait à mon égard. Elle revient à ma hauteur après quelques minutes de marche, me posant la question qui tue. Pourquoi je l'aide? Ma réponse tient en quelques mots, simple.

"J'ai tout intérêt à ce que tu ne te fasse pas remarquer.

Je marche quelques dizaines de mètres encore, divisant mes sens entre elle et mon environnement alors que l'herbe se fait plus haute devant nous, avant de compléter le fil de ma pensée.

"Ces braconniers se contentent de courir après un trophée. Les gens d'ici sont plus proches des légendes que les colons. Ils sauraient ce que tu es, ce que je suis, ce que nous sommes. Je tiens à l'éviter."

Un bruit de course parvient à mes oreilles et je tourne le regard, observant le travail de la troupe de lionnes qui possède ce territoire alors qu'elles donnent la chasse à une famille de phacochères, qui s'éparpillent bientôt aux quatre vents dans les herbes hautes de la savane. Raté, cette fois encore. Et aucune d'entre elles ne semble avoir remarqué la proie que j'ai laissé à l'écart de leur position... Note à moi-même, songer à y retourner pour éloigner les hyènes, le temps qu'elles s'en approchent...

"Ce n'est pas toi que j'aide. C'est moi."

Oui je comprends ça. Après tout moi-même, même si je me fichai de beaucoup de chose, je ne souhaitais pas qu'on sache qui j'étais et en mourir à cause de la loi stupide des rois à ce sujet.
Ils tournent la tête vers des animaux un peu plus loin. Si j'étais végétarienne j'en ferais mon quatre heure, mais ce n'était clairement pas le cas et puis c'était chouette à regarder. Je m'étais les pieds dans ce pays pour la première fois et j'appréciais le spectacle.

- Oh je vois. T'inquiètes pas, je ne comptes pas m'éterniser ici plus longtemps que nécessaire, je ne suis que de passage. Je serais déjà loin d'ailleurs si tu avais pas été blessé...

J'avais faillit dire bêtement, par de simples humains, mais je m'étais retenue. Après tout il était entrain de m'emmener à l'abris des regards, alors je pouvais difficilement faire la fine bouche.
Plus nous approchons plus je sens l'odeur d'un autre vampire. Une femme, j'en mettrais ma main à couper. On dégage cette odeur bien distincte, je ne saurais dire quoi je suis pas toubib, peut-être les phéromones ? En tout cas il y a quelque chose dans l'air. M'emmène-il droit dans un piège ?

- Tu connais d'autres vampires ?

Je garde le silence pendant un moment, alors qu'elle me répond qu'elle serait déjà loin si je n'avais pas été blessé. Que l'odeur de mon sang l'ai attirée, génial... je vais me contenter d'être ravi qu'il n'ai attiré personne d'autre.

"Oublie ça. Et évite d'en reparler. Je tiens pas à avoir droit à une scène."

Elle s'arrête soudain, me demandant si je connais d'autres vampires. Vrai qu'on pourrait se demander ce que l'odeur de l'un des siens fait à proximité de mon repaire. Mais avec Ami, on a réussi à passer par dessus la méfiance que chacune de nos espèces inspire à l'autre. On est frère et sœur avant tout, peu importe ce qui peut bien arriver.

"Ma sœur. Tu ne crains rien. Tant que tu évite de lui parler de cet incident... et du fait que tu aurais bien été tentée de me saigner à blanc. On a le naturel protecteur dans la famille."

Je presse le pas, tâchant de pénétrer dans notre cache avant elle, et avant que Ami ne la considère comme une ennemie à abattre. Nous avons le même avis sur les vampires - elle excepté -, ce sont l'ennemi public n°1. Et nous avons la même tendance à attaquer puis poser les questions.

"C'est moi. J'ramène quelqu'un."
"J'ai vu ça. Tu es complètement cinglé ou quoi?!"
"Je préfère encore la garder là jusqu'à ce que le soleil se cache derrière les nuages plutôt que risquer que les clans lui donnent la chasse. On connait les risques..."

Je glisse une main sur sa joue, admirant ses yeux dorés, remarquables au milieu d'un visage bien plus sombre que le mien, malgré la pâleur habituelle des vampires. Non, je n'ai pas envie que les villageois lancent la chasse, réussissant au mieux à se faire tuer, au pire, à remonter jusqu'à nous.

"D'accord. Mais c'est ta responsabilité. C'est sur ta conscience, pas sur la mienne."

Elle s'éloigne ensuite, n'accordant qu'un regard à la nouvelle venue avant de s'enfoncer plus en avant dans l'obscurité de la grotte. J'en connais un qui va dormir dehors ce soir...Ni la première, ni la dernière fois que ça arrivera.

Je crois tout d'abord qu'il parle d'une compagne ou d'un compagnon, mais il m'explique que le vampire qu'il connait est sa sœur. Ok ça c'est bizarre. Jamais entendu parlé d'un truc pareil, un vampire et une boule de poil… Je me demande comment ils ont pu faire pour ne pas s'entre-tuer; ça a dû leur demander un effort surhumain… enfin je crois vu le mal que je me donne pour pas le bouffer … bon après il put vraiment c'est une horreur … ça doit aider je suppose.

J'avale difficilement ma salive lorsqu'il évoque leur côté protecteur. Mais je tente de me rassurer en me disant que je lui ai sauvé la vie… ça devrait me laisser une chance non ? Je ne relève pas, j'essaie simplement d'assimiler pour ne commettre aucun impaire. Il rentre le premier, ils échangent quelques mots auquel je me contente de sourire pour faire remarquer que j'acquisse à ce qu'il dit. Elle me lance un regard et disparaît, bientôt même mes yeux surnaturels ne la voient plus.

- Chaleureux accueil y a pas à dire !

Je ne doute pas qu'elle m'entende. Je m'abstiens de dire que j'ai sauvé la vie de son frangin, pour rentrer dans ces bonnes grâces vu ce qu'il m'a conseillé un peu plus tôt. Je suis trop bonne parfois, ou trop conne à voir…

- Je vous embêterais pas bien longtemps, je partirais à la nuit tombée. En attendant vous avez de quoi grailler ?

Elégante et délicate ? Non ce n'était clairement pas mon genre. Je m'étais adapté à mon époque, je parlais comme les jeunes de mon âge aujourd'hui, enfin c'est tout du moins ce que je croyais.

La grotte est profonde, un élément qui nous a aidé à nous y installer. Car, malgré notre affection réciproque l'un pour l'autre, il y a des moments où on ne peut tout simplement pas s'encadrer. C'est comme ça. Aussi bien entre frère et sœur qu'entre vampire et panthère, il semblerait. Bref, je me retrouve bientôt seul à seul avec la sanguinaire, bien que je sache que les sens affutés de ma sœur restent à l'écoute du moindre problème avec elle. Du moins, c'est là ma conviction profonde.

Au commentaire de la vampire, je lui jette un regard noir, voulant lui signifier qu'elle ferait mieux de ne pas en rajouter.

"Elle ne t'a pas mis à la porte. Contente toi de ça."

Je bloque un moment sur le sens du mot "grailler". Et finis par déduire qu'elle parle de manger. Désolé d'avance, on n'a pas d'humain à saigner sous le coude...

"J'ai de quoi, me concernant. Un peu moins pour toi. J'ai abandonné l'idée de manger ma viande "saignante" depuis un moment, si tu vois ce que je veux dire."

Que Aminata et moi nous débrouillons pour ne pas faire de gâchis? Je chasse, elle vide, je mange. Tout le monde y trouve son compte. Y compris les fauves des alentours, qui profitent allègrement de nos restes.

Son regard et son commentaire me glace le sang. Ok c'était juste façon de parler, pas besoin de sortir les griffes, ou les canines ou je ne sais quoi. On crame peut-être pas au soleil, mais on brille, si quelqu'un m'avait choppé entrain de briller je serais une femme morte, grâce aux lois de nos rois, alors je dirais bien que je lui en dois une pour m'avoir sauver la mise, mais enfaites on est plutôt à égalité, donc bon je me tais; j'ai pas envie de me faire bouffer par une consœur vampire (visiblement les humains sont pas son genre, mais moi plus déjà) et par une bébête.

- Ouais je vois, tant pis. Je ferais mieux ce soir.

Je m'assois par terre un peu plus loin. Je vais bientôt me ronger les ongles si j'ai rien de mieux à faire. Comment ils occupent leur temps la dedans ?

- Et eu, vous faites quoi pour vous occuper ?

Nan parce que je suis folle ça c'est admis, mais je n'en suis pas a envisager l'inceste, alors qu'est-ce qu'ils font ? C'est glauque, y a pas l'électricité, y a pas internet.  On est dans le trou du cul du monde… c'est flippant!

- Des jeux de société ? Une partie de pétanque ? Vous devez grave vous faire chier, non ?

Je m'affale un peu plus encore, m'appuyant contre le mur de la grotte. Je déteste ne rien faire. Je suis claustro' ça y est, je deviens barge. Non ça c'est pas possible je le suis déjà : "Quand j’observe ce monde, auquel tu veux absolument appartenir, tout ce que je vois c’est 6 milliards de dingues qui cherchent un raccourci vers la sortie. Il sont tous cinglés… Regarde les… Tout le monde boit, fume, se drogue… Ils se tirent les uns sur les autres ou bien ils se font tout bonnement sauter la cervelle pour ne plus voir ça. Et c’est moi la cinglé… Chérie, je suis la seule borgne dans ce royaume d’aveugle. Parce que moi j’admets que ce monde me rend dingue."
Des fois je me parle toute seule, ça fait flipper les gens autour, mais moi ça m'apaise, alors parfois je me fais ce truc là dans ma tête. Y a longtemps que j'ai pas fait une crise, mais si je dois rester ici à rien faire, ça va pas le faire c'est le cas de le dire. Je suis déjà entrain de partir en cacahuète …

- Ok faut vraiment que je fasse quelque chose là! T'as pas envie de me voir péter une durite j'te jure!

Mes jambes s'agitent, mes mains se frottent l'une contre l'autre dans une danse censée me calmer.

J'allume quelques branches rassemblées à l'intérieur d'un cercle de pierre avant de déposer un morceau de viande au milieu des flammes, laissant bientôt l'odeur de la viande grillée s'installer dans l'atmosphère.

"Moi qui croyais que les vampires étaient capables d'une patience à toute épreuve. Tu m'a l'air bien agitée pour une sang-froid."

J'attrape la nourriture d'une main, évitant de peu de me brûler, avant de placer un couvercle sur le feu pour l'étouffer, et m'installer au sol près d'elle, lui proposant une dernière fois un morceau de viande qu'elle refusera probablement.

"Me regarde pas comme ça. Le fauve se contente de viande crue. L'homme apprécie qu'elle soit bien cuite. Et puis, j'aurai pas les dents pour manger ça dans l'état."

Quand à sa question?

"On a quelques jeux pour passer le temps. Enfin, la plupart du temps, je patrouille aux alentours," quand je ne somnole pas..."Et la nuit, nous sommes rarement à l'intérieur. La savane est grande, autant en profiter."

Comment peuvent faire ceux qui se croient riches à vivre en ville, enfermés dans des cases remplies de cases encore plus petites, le tout montées les unes sur les autres? Je suis bien mieux à l'air libre, au cœur de la nature qui m'a vu grandir.