Il y a bien longtemps, sur une petite île au large de l’actuelle Nouvelle-Zélande, vivait un homme fort et brave qui faisait la fierté de sa famille. Devenu adulte, il épousa une jeune fille à la beauté renversante. Peu de temps après leur mariage, son ventre s’arrondi et neuf mois plus  tard, durant l’hiver 1262, elle donna naissance à des jumeaux.

Te Wherowhero est un petit garçon bien sage, sensible au monde qui l'entoure et qui montre rapidement un intérêt particulier pour les plantes et les animaux les plus doux comme les plus dangereux. Sa sœur, Te Kona est aussi belle que leur mère et aussi féroce que leur père. Elle laisse peu de gens indifférents. Si elle est avenante et souriante, elle n’en reste pas moins capable de mordre ceux qu’elle estime le mériter. Son frère en a d’ailleurs déjà fait les frais lors d’un jeu qui a bien vite tourné en bagarre. Aujourd’hui encore il garde d’elle une petite trace de dents sur le mollet.

Des années plus tard, alors que les jumeaux ont bien grandi, Te Kona retrouve sur la plage une femme bien étrange, tremblottante et trempée. A côté d'elle, les débris d’une embarcation de fortune se sont échoués. Rapidement, elle appelle à l’aide et d’autres accourent pour porter secours à la nouvelle venue. Si certains sont réticents à voir une étrangère aussi différente, d’autres préfèrent y voir une bénédiction.
Te Wherowhero, plébiscité par sa sœur, rencontre à son tour la rescapée. A peine pose-t-il les yeux sur elle qu’il se sent comme envoûté par cette beauté peu ordinaire. Le ciel nocturne se reflète sur sa peau tachetée de milliers d’étoiles et lorsque les rayons du jour transpercent la pièce, elle brille comme l’océan sous le soleil. Il a bien vite de la peine pour cette pauvre créature en voyant ses lèvres gercées et son léger teint bleuté. Tout ce qu’on lui donne à manger la rend encore plus malade et les jumeaux ne savent bientôt plus quoi faire pour espérer la sauver. Elle tient anormalement le coup compte tenu de son état et du manque de nutrition.
Quelques jours plus tard, de nombreux oiseaux sont retrouvés morts, desséchés aux alentours. L’étrangère quant à elle est de nouveau sur pieds, elle a repris quelques couleurs et se remet peu à peu de ses émotions. Elle n’a pas l’air de parler leur langue et se comprendre n’est pas chose facile. Pourtant les jumeaux meurent d’envie de savoir d’où elle vient et pourquoi elle est ici. Est-ce qu’elle a quelque chose à voir avec la mort des oiseaux ? Et surtout, pourquoi sa peau brille au soleil ? Est-ce un esprit ? Une divinité ? Un monstre peut-être ? Son arrivée est-elle de bonne ou de mauvaise augure ? Ils le sauront bien assez vite…

Et ce “bien assez vite” ne tarde pas à arriver. Les jours, les semaines et les mois qui ont suivi son arrivée ont confirmé qu’elle ne cherchait pas à s’en prendre à eux. Elle s'attèle même à les aider au quotidien avec ses étranges talents. Elle est dotée d’une force et d’une agilité surprenante. Elle grimpe en haut des arbres à une vitesse hallucinante et en redescend d’un seul bond qui écraserait les os de n’importe quel être humain sauf elle… Elle ne se nourrit toujours pas avec eux et part chasser seule. Te Kona fini par la surprendre vidant un animal de son sang mais n’en fait pas plus d'affaires que ça. L’étrangère est une créature bien étrange, ses mœurs doivent l’être tout autant. Et puis, ce qui devait arriver arriva. Te Kona a toujours été un peu trop téméraire et curieuse, si bien que cette curiosité finit parfois par lui coûter cher.
Alors qu’elle suit l’étrangère partie en chasse, elle ne fait plus guère attention à l’environnement autour d’elle et trébuche. Elle dévale un long et dangereux fossé et se retrouve étalée tout en bas, la tête en sang et le bras retourné. Elle aimerait hurler de douleur mais aucun son ne veut sortir de sa gorge. Elle commence à voir de plus en plus flou et sent une vague de froid la submerger. C’est alors qu’elle aperçoit la silhouette de la femme au dessus d’elle. Et soudain de la chaleur, le genre à vous brûler de l’intérieur. Elle ne sait quoi en penser. Est-ce qu’elle est en train de mourir ? La douleur reprend de plus belle tandis qu’elle entend au loin son frère l’appeler…

Te Wherowhero retrouve la trace de sa sœur. Elle est dans un état pitoyable, entre la vie et la mort. Il se précipite vers elle pour lui porter secours. C’est là qu’il remarque deux petits trous à son poignet, comme une morsure d’animal mais autour d’elle il n’y a rien ni personne. Elle est seule, allongée dans l’herbe. Il est loin de se douter qu'au-dessus d’eux, perché sur un arbre une créature peu commune et particulièrement dangereuse les observe. Il ne lui faudra d’ailleurs pas longtemps avant de fondre sur Te Wherowhero. Le pauvre se débat, essaye de se dégager comme il peut mais n’y parvient pas. Il sent deux crocs se planter dans son bras et s’y accrocher comme à sa propre vie. Bientôt lui aussi est à terre, allongé aux côtés de sa sœur. Deux yeux rouges les fixe dans le noir et il en reconnait la silhouette : l’étrangère.

A leur réveil les deux jumeaux sont installés dans la maison de Te Wherowhero. Ils souffrent encore mais bientôt c’est autre chose qui les tiraille, une faim insatiable. On a beau leur ramener de quoi manger et boire pour les aider à reprendre des forces, rien ne semble passer et tout à l’air de les rendre un peu plus malade, provoquant chez eux des vomissements des aliments à peine digérés. Ils arrivent à peine à parler et ne parviennent pas à expliquer ce qui leur est arrivé. De toute façon qui les croira ?

Le temps semble passer très lentement pour eux. Te Wherowhero a l’impression d’être allongé là depuis des semaines, peut-être des mois mais il n’en est rien. Il aimerait maudire l’étrangère mais c’est elle-même qui vient mettre fin à leur supplice. Elle profite de l’obscurité d’une nuit sans lune pour apporter aux jumeaux un liquide chaud. Ils prennent un grand plaisir à le boire, c’est comme une délivrance. Ils sentent le liquide couler dans leur gorge et leurs forces revenir peu à peu. Ce n’est que le lendemain, lorsqu’un rayon de lumière éclaire le bol laissé là qu'ils découvrent ce qu’ils ont bu. L’étrangère les maintient en vie et sous son contrôle, les nourrissant ainsi de sang animal. C’est la seule chose qu’ils arrivent à avaler et qui a un véritable effet nutritif sur eux. Ce n’est que lorsqu’une autre tribu vient les attaquer dans l’espoir de leur voler leur terre et que leurs guerriers sont submergés que les jumeaux goûtent pour la première fois au sang humain. Il a une saveur différente, délicieuse et  irrésistible. Te Kona a toujours eu une volonté plus forte que celle de son frère et c’est elle qui finit par le ramener à la raison une fois qu’il s’est suffisamment nourri pour subvenir à ses besoins. Il lui faut un temps avant de reprendre raison et deux vampires pour le maintenir au sol, sa sœur et sa créatrice. A elles deux elles ont une force phénoménale et le rendent totalement incapable de bouger. C’est alors qu’une chose étrange se produit. Leurs bras qui le maintiennent au sol commencent à avoir des difficultés à obéir à leur volonté. Ils sont engourdis, presque paralysés. Bientôt ce phénomène s’étend à tout morceau de peau qui est en contact avec celle de Te Wherowhero. Te Kona ne tarde pas à s’évanouir, s’écroulant de tout son poids sur son frère qui panique et retrouve soudainement tous ses esprits. Il ignore alors que c’est lui qui a provoqué cet effet. Lui qui humain maîtrisait l’art de connaître et comprendre les plantes et les poisons en sécrète à présent au point de pouvoir empoisonner jusqu’à des vampires en grande forme. Heureusement l’effet s’estompe rapidement et sa sœur retrouve toutes ses capacités.

Devant l’étendue de ses pouvoirs et sa soudaine soif de sang à présent humain, Te Wherowhero préfère s’éloigner du village. Sa sœur et sa créatrice le suivent. Ils s’installent d’abord de l’autre côté de l’île, l’espérant suffisamment grande pour les maintenir à l’écart de leur famille et leurs amis mais ils sentent de temps à autre un peu trop leurs odeurs même d’aussi loin. Ils préfèrent alors s’éloigner encore plus et embarquent sur un waka. Leur exile dure des mois durant lesquels ils se nourrissent exclusivement de créatures marines et d’oiseaux. Ils apprennent à chasser sous l’eau mais également sur terre lors des quelques explorations qu’ils y font. Leur apprentissage en tant que nouveaux vampires dure un peu plus d’une année mais leur maîtrise de soi mise à rude épreuve sur l’eau les rend particulièrement forts psychologiquement. Te Wherowhero apprend à comprendre et maîtriser son pouvoir particulier.

Lorsqu’ils reviennent finalement sur l’île où vit leur famille, deux ans après, les jumeaux sont seuls. Ils décident d’y rester autant de temps qu’il faudra pour les protéger. Les villageois les érigent d’ailleurs en protecteur de la tribu et au fil des années et des générations, certains les voient comme des divinités, des demi-dieux protecteurs.



[...]



Angleterre, 16ème siècle.

Après près de trois siècles dans l’Océan Pacifique, Te Wherowhero s’éloigne pour visiter le reste du Monde. Il s’attarde au 16ème siècle en Angleterre où il prend pour la première fois le nom de Benedict, emprunté à l’un des marins qu’il a croisé durant sa route. Après de nombreux voyages et de nombreux apprentissages de langues, il parle un anglais presque parfait ce qui l’aide grandement à passer un peu plus inaperçu dans les rues de Londres.

Un soir, alors qu’il traîne dans un pub de Londres, il fait la connaissance d’un célèbre dramaturge avec lequel il sympathise. Entre les pièces qu’il va voir et les invitations à échanger sur des sujets divers et variés, ils finissent par s’attacher l’un à l’autre et à entretenir une liaison romantique qui durera près de deux ans. C’est cet homme qui éveille en lui un intérêt pour les arts et même si Benedict est tout sauf crédible sur scène, il apprécie tout particulièrement le théâtre.


Les années passent et Benedict accumule les rencontres et les souvenirs. Il voyage, découvre les pays voisins à l’Angleterre et bientôt à nouveau le monde. Il s’attarde parfois plus longtemps ici qu’ailleurs et profite des joies de la vie en prenant grand soin de garder son immortalité secrète. Il a pour l’heure toujours échappé aux griffes de chasseurs qui font parfois bien de ravages. Lui se contente de se nourrir raisonnablement et évite de laisser trop d’indices derrière lui ou plutôt est-ce les humains qu’il emploie qui le font. Benedict comprend bien vite l’intérêt d’avoir un “familier” à sa botte, un mortel bien souvent (puisque la plupart espèrent quelque chose de lui) qu’il peut aisément manipuler pour faire le sale boulot à sa place.


C’est en 1722 en France que Benedict fait la rencontre de Rosalie de Lestocq, une jeune femme de 20 ans, fille d’avocat et promise à un notaire et ami de Benedict. Il reste auprès d’eux plusieurs années en tant qu’ami de la famille et mécène de la passion de Rosie pour la peinture. Elle expose d’ailleurs ses œuvres sous un pseudonyme masculin et sous la bénédiction de son époux.
C’est une trentaine d’années plus tard, en 1753 que Rosalie, alors jeune veuve, se remarie. Elle épouse Benedict dont elle connaît la nature de vampire. Leur union dure près de trois décennies encore jusqu’à ce que Rosalie, refusant de se laisser changer en vampire, décède en laissant à son époux sa fortune et ses nombreux tableaux. Pour tourner la page et ne pas rester prostré dans son chagrin, il quitte alors la France pour un rapide tour de l’Europe avant de se diriger vers le Nouveau Continent.


[...]


13 avril 1845, un cinquième de la ville de London, alors construite en bois, est détruit dans un incendie. Benedict qui s’y trouve déjà est épargné ainsi que d’autres vampires qu’il y a rencontrés. Certains prétendent qu’il s’agit là d’une attaque contre les vampires en particulier. Crime commis par un autre clan vampirique ? Attaque de chasseur qui se soucie peu des dommages collatéraux ? Le fait est que pour la ville cet événement est un drame. On doit reconstruire ce qui a été détruit. Benedict y participe dans l’ombre, faisant des dons d’argent pour rebâtir les lieux les plus importants et ouvrir un centre hospitalier pour les grands blessés. Il se lie d’ailleurs d’amitié avec un homme au visage à moitié brûlé, un artiste torturé qui le devient encore un peu plus après la perte de tous ses biens. Lorsqu’il est en état de sortir, Benedict lui offre un logis et devient une fois de plus mécène des arts.

Le temps passe et Benedict se plaît à parcourir les Amériques. Il retourne cela dit assez souvent à London, ville qu’il affectionne particulièrement. Entre 1959 et 1984, de nombreux meurtres en série sont commis, certains par des vampires irresponsables qui essayent de couvrir leurs crimes en falsifiant un mode opératoire et en les mettant sur le dos d’humains naïfs et manipulables. Mais tous les vampires ne sont pas les mêmes et certains parviennent à faire revenir l’ordre dans la ville pour y préserver la paix et la sérénité.


[...]


A l’heure actuelle, Benedict est actionnaire majoritaire dans une société informatique que lui et des amis vampires ont créée il y a de nombreuses années. Cette société leur permet entre autres de contrôler les médias et les réseaux pour y rendre imperceptible des vampires. A l'ère de l'informatique, il devient compliqué pour certains d’entre eux de passer inaperçu et de se cacher du monde, ils sont là pour y remédier.
Benedict est également mécène pour des artistes qu’il expose dans une galerie du centre ville dont il est le propriétaire et qui rencontre assez souvent un franc succès.
S’il possède des biens immobiliers à travers le monde, c’est en colocation qu’il vit à London. Quand on a vécu aussi longtemps, l'ennui a tendance à vite pointer le bout de son nez. Partager le quotidien d’autres vampires et ainsi se soutenir les uns les autres est un excellent moyen de remédier à la mélancolie.