Un jour, un meurtre

J’étire mes bras au-dessus de ma tête et me laisse apaiser par la légère brise qui vient caresser ma nuque. C’est agréable de pouvoir profiter de la ville à la nuit tombée, posé sur un banc dans un des nombreux parcs de London. Je suis partie dès que l’astre du jour a disparu à l’horizon. J’ai posé mon alliance – bague de jour et suis partie à la recherche d’un bon p’tit plat. J’assume bien mieux mon appétit pour l’hémoglobine depuis que mon époux partage mon régime alimentaire. Une histoire de honte, j’en doute pas. J’ai toujours été un maître pour me créer des complexes inutiles juste pour avoir le plaisir de fuir et me faire souffrir … Résultats, Nath a eu à de nombreuses reprises l’occasion de me foutre des tartes bien méritées. Bon ok, c’était plus des tartes mentales, j’suis pas un homme battu non plus, mais vous avez compris l’idée. C’est lui qui m’a redonné confiance en moi, en l’amour … oh mon dieu, j’suis tellement gnangnan que je viens de voir passer une licorne devant moi. Concernant mon repas de ce soir, j’avoue que j’ai été particulièrement chicaneur sur celui qui me servirait de garde-manger. J’avais envie de sexy, j’avais envie de me mettre en appétit et je voulais aussi que son crime soit assez grand pour que sa mort n’en soit que plus majestueuse. Ça a pas été facile. Mon hors-d’œuvre a dû attendre que j’épluche des dizaines de dossiers avant de tomber sur le sien, sans compter plusieurs heures de recherches assidues pour dénicher sa cachette. Et pour finir, le suivre pour vérifier qu’il correspondait bien à mes attentes. Vous me jugez ? Vous mettriez pas vos lèvres sur un steak s’il n’avait pas l’air appétissant ! Me faites pas croire le contraire, vous êtes pas crédible. Alors oui, je choisis aussi en fonction du physique certaines fois et cela m’arrive de prendre des mets moins appétissants, mais tout aussi coupable que celui de ce soir. Je soupire et lèche mes lèvres alors que je décèle une goutte de sang qui a échappé à mon gosier. Pas classe de manger n’importe comment, c’est pas parce qu’on mange sans couverts qu’il faut le faire comme des animaux. Je sors un mouchoir de ma poche et essuie la commissure de mes lèvres pour la peine et le voilà qu’il se teinte d’écarlate. Je le range dans sa poche et soupire à nouveau. Me revoilà à animer tous les moulins à vent de la région de la manière la plus futile qu’il soit. Je me perds dans mes pensées sans pour autant occulter que quelqu’un s’approche de moi … peut-être qu’un passant, mais à cette heure-ci, cela me semble fort improbable. Toutefois, je reste figé en attendant qu’il se mette à ma portée …

Laxy by Avada Kedagraph

Un jour, un meurtre

Ça m’embête … Mon repas encore chaud, étalé dans le buisson devant moi et les pieds dépassant de manière ostentatoire, je ne m’attendais pas à être interrompu en pleine digestion. J’ai encore assez à faire si on prend en compte que le cadavre ne va pas disparaître tout seul et j’espérais ce recoin assez isolé pour éviter les voyeurs … c’était bien sûr sans compter sur un autre de mes congénères sans doute cherchant la même solitude ou alléché par l’odeur de l’hémoglobine.

Sans aucune gêne, l’inconnu s’invite et cette trop grande promiscuité me met déjà mal à l’aise. Je ne suis pas exactement asocial, juste extrêmement incommodé d’être surpris en plein repas. Quoi ? j’viens de dire que j’assumais plus mes habitudes alimentaires, pas que j’assumais totalement de tuer et saigner à blanc des humains. Je tourne légèrement la tête en sa direction et le dévisage sans m’embarrasser des conventions sociales qui stipulent qu’il est impoli d’agir de la sorte. Je hausse les sourcils et, finalement, un sourire se dessine sur mon faciès.  Moins importun que je ne le présumais, je me vois même lui répondre.

« Merci, je suppose aussi. »

Je cesse de le regarder et porte mon attention sur le cadavre à peine dissimulé.

« Si j’avais su que j’aurais de la visite, je me serais abstenu de le vider aussi vite … »

Grandissez en zone de guerre, battez-vous pour avoir de quoi manger à votre faim et vous seriez moins pinailleur sur le fait de manger après un autre. On va pas se mentir, que ce soit en Yougoslavie fils de fermier qui voyait ses cultures ravager sans aucune aide de l’état, trop occupé à gérer les guerres civiles – certes, auxquelles je participais allégrement – ou en arrivant au Canada, j’étais un sans le sous errant, j’en ai eu des occasions de faire les poubelles … Vaut mieux pas que je le dise à Nath ça, quand on voit à quel point je titille pour cuisiner dans le style restaurant 5 étoiles dès qu’Elaine est à la maison ou encore ma manie d’excentrique qui veut toujours être habillé à la pointe de la mode – version élégance hein ! on parle pas de trucs ridicules dont j’aurais honte dans 30 ans – on pourrait ne pas y croire. Enfin bref, tout ça pour dire que j’sais me souvenir d’où je viens autant que je sais l’oublier. C’est l’avantage de l’éternité, à défaut d’une vie, j’ai l’impression d’en vivre une seconde.

L’étranger toujours là, je comprends qu’il ne compte pas partir dans l’immédiat et je tapote l’assise à mes côtés pour lui signifier qu’il peut me rejoindre s’il le souhaite. Ok, on peut pas dire que je sois du genre extrêmement méfiant, mais je ferais presque preuve d’imprudence. Je me justifierais bien en disant que mon sixième sens me chuchote que cet homme n’a aucune intention belliqueuse et non, je suis pas Spiderman, même si je dirais pas non à certains moments, notamment le côté monte-en-l’air que j’affectionne déjà en étant vampire, mais qui serait décupler. Toutefois, je reste sur la réserve et commence par une conversation plutôt légère.

« Vous êtes du coin ? »

J’ai fait de mon côté mon petit bonhomme de chemin ici, mais rien de bien extraordinaire et surtout, jamais je ne me suis trop aventuré sur les territoires de vampires, loups ou autres créatures du genre. Chose étant, je ne me mêle à mes semblables que pour résoudre mes affaires et cela me suffit amplement (non, non j’oublie pas Silas et Nath).

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Un jour, un meurtre

Transformer mon casse-dalle ? Non, non … certainement pas mon dada. J’en ai transformé deux et ça me suffit amplement. La première était à moitié mourante dans mes bras et j’ai paniqué … J’ai totalement paniqué de la voir se vider de son sang et c’était plus un accident qu’autre chose. Alors que Nath, ben … j’ai juste paniqué en fait … hum. Oui, bon, ben je sais, je panique souvent, mais je n’y peux rien. C’est l’homme que j’aime et entendre son cœur dérailler, ça m’a fait virer plus blanc que je ne le suis déjà. Je le regarde s’assoir sur le banc à mes côtés alors que je souffle en silence. Je n’ignore pas qu’il y a belle lurette que le moindre souffle n’a plus aucune utilité pour moi, mais cela me soulage et les vieilles habitudes humaines persistent.

« Ça fait un peu plus d’une trentaine d’années, j’aime bien le coin, c’est sympa. »

Je lui adresse un sourire. S’il savait, j’ai a peine foulé le sol de London qu’on se jetait sur moi pour me transformer … Je n’ai toujours pas la moindre idée sur l’identité de mon géniteur et je reste un déjeuner mal fini et abandonner pour mort … à croire que j’en avais pas bien envie et que j’ai rien trouvé de mieux que de me relever avec mes canines légèrement plus aiguisées.

« Moi, c’est Dante Val’Tayik … oui paraît-il que j’ai un nom à la con, mais j’vais pas renier mes origines. »

Faut dire que rien qu’avec mon accent slave, on peut bien concevoir que je suis pas né dans le coin … je vais pas le laisser deviner mes origines, mon pays n’existe même plus. Et c’est Nath le pro pour me rappeler que mon prénom est particulier. J’y peux rien, on peut pourtant pas dire que mes parents étaient des fins lettrés, mais ils ont eu pour une fois une bonne inspiration. Toutefois, mon congénère rivalise cruellement avec moi et je décèle qu’il ne doit pas non plus être du coin. Contrairement à moi, je ne décèle pas le moindre accent lorsqu’il parle et je serais encore plus incapable de le situer.

« C’est pas courant toi non plus, tu viens de loin ? »

Et voilà, les bonnes habitudes encore mises de côté, je me vois le tutoyer sans aucune gêne. J’ai jamais été très fort avec les formes de politesse et tout, alors dès que je me sens un peu trop à l’aise, je lâche tout et je reprends mon train-train. Je jette un œil sur le cadavre devant nous, un soupir franchit mes lèvres alors que je me lasse déjà de devoir le transporter et le cacher avec autant de dignité que j’attribue aux corps des hommes. Oui, parce que même le pire des criminels mérite quand même un minimum de respect dans la mort et je ne me permettrai pas de juste le jeter dans un caveau. En plus, c’est le genre de cadavre qui remontent trop vite à la surface donc autant l’enterrer proprement.

Laxy by Avada Kedagraph